jeudi 8 janvier 2015

494 - peut(-)être un journal






Aujourd'hui je vous la présente, depuis la personne-de-l'écriture et de nulle part ailleurs : 


          Maladie de Basedow 


        hyperthyroïdie, tachycardie, fatigue importante, perte de poids, exophtalmie (rare : pas mon cas), nausée, tremblement, sueur, nervosité, sensation de soif







La maladie de Basedow est une maladie auto-immune, due à un mécanisme d'auto-agression de l'individu contre sa propre glande thyroïde.



J'ai fréquemment évoqué la maladie dans LIVRE-AVRIL; et voilà que je suis vraiment malade. J'ai cette croyance selon laquelle c'est au fil des textes commis par le biais de ma main que la maladie m'a choisi. 
Peu à peu le texte m'a pénétré: il s'est substitué à mes organes. 
Cette transmutation a commencé il y a plus d'un an, on en trouve des traces déjà dans mon journal du 15 septembre 2013, une empreinte très nette dans celui du 8 juillet 2014; elle est clairement énoncée dans le brouillon du fragment 11 du livre-avril: 


"nos organes sont vraiment des textes, ils sont des textes pour de vrai et c’est par le truchement de ces textes que nous pourrons, à défaut de toute autre médiation, capter quelque chose de ce qui a lieu dans l’écart qui préside à la relation de soi à soi."


C'est la violence et la nécessité de ma foi dans cette assertion :
mes organes sont des textes 
qui m'ont livré à la maladie, à basedow. 
     basedow est le fils unique de mes organes-textes, 
     basedow est la frontière,
     basedow est la manifestation de la transmutation.

Et, enfin, me voilà malade, prêt à lutter contre l'ange basedow, à être à mon tour cette frontière que j'invective et recherche de toutes mes forces en écrivant LIVRE-AVRIL

Le thème de LIVRE-AVRIL est en effet le passage, et le lieu du passage, c'est-à-dire la frontière. Ce sujet, je l'ai choisi en considération de ce que je traverse actuellement en psychanalyse : je veux dire ce moment où parler sur le divan devient insupportable parce que celui qu'on est, il se trouve qu'on ne l'est plus, et celui qu'on sera, on ne l'est pas encore. Dans cet intermède la consistance de soi peine à se faire sentir. Un certain dégoût, voire déconsidération, survient à l'encontre. 
Je peine et je cherche à contracter ce devenir que je suis ; mais bien enraciné dans une histoire dérisoire et singulière qui est la mienne, je garde confiance.

L'intuition du LIVRE-AVRIL, que je n'ai pas du tout préméditée, c'est que la maladie est l'état nécessaire pour être et penser la frontière. Cette intuition est mortelle, je m'en rends compte maintenant. Mais c'est trop tard. Je suis malade. Ma thyroïde s'est transformé en texte, les anticorps ne la reconnaissent plus et l'attaquent. 

La maladie peut-être va écrire par le moyen de ma présence au monde et de mon appétit désormais modéré de disparition (je parle de m'absenter de ma vie et de celle des autres). Elle va dénoncer la frontière, la révéler pour que j'en sois moi-même un territoire et contracte, dans le meilleur des cas, un devenir qui ne soit pas du semblant.

(Mais aujourd'hui je ne tête plus l'écriture. Je suis sevré et peux vivre sans écrire. C'est à dire qu'écrire aujourd'hui est plus nécessaire que jamais car aucun besoin ne m'y pousse. Ecrire ne répond à rien, est comme une pure question, et cette question se saisirait de l'épaisseur de mon corps pour advenir et prendre expression.) 

Or aujourd'hui je suis atteint d'une maladie auto-immune. Je comprends que la maladie assume un conflit psychique. J'y vois cette frontière qui m'obsède. La frontière serait liée au conflit. Comme un axiome : nulle frontière qui soit en paix.

Frontière, lieu de conflit, d'instabilité, de risque et de grandes potentialités : lieu de création.

La maladie est un lieu de création, un temps dédié à l'expression de l'inouïe singulier que recèle tout visage. 

Il m'apparaît avec évidence que maladie de Basedow est une réponse à RêvedeNewYork. RêvedeNewYork serait donc une question, ce que je n'avais pas saisi jusqu'alors. Je déduis que MaladiedeBasedow me visite à la manière d'un songe, de la même manière que RêvedeNewYork. Sauf qu'en ce cas, ce n'est pas la pointe psychique de ma présence qui est visitée, c'est mon corps. Ce qui est une excellente nouvelle car je cours après celui-ci depuis mon enfance. Or si les agents de la scène obscure, de l'autre scène, commencent à interpeller mon corps, c'est sans doute que celui-ci a acquis suffisamment d'autorité pour qu'on fasse appel à lui. Ainsi, je n'aurais qu'à suivre la voie ouverte par les travailleurs de l'ombre.  

En quoi MaladiedeBasedow répondrait-elle à RêvedeNewYork? J'imagine qu'il s'agit d'un cri. Celui du nouveau-né, celui de l'humain que l'on torture, celui de la colère. Il s'agit de cris, au pluriel donc. J'imagine que MaladiedeBasedow est une somme de cris de différentes natures. J'imagine que ces cris sont des réponses possibles à cet emmerdement merveilleux que constitue ce fait improbable d'être en vie. Alors je crois que RêvedeNewYork pose la question de vivre. Et Ma mère est lamentable, et les balises, sont autant de dispositifs visant à mettre en forme cette question de vivre dans notre contexte qui est celui de l'Holocauste comme culture, de la psychopathologie du langage, de l'impossible pensée de la négativité et par suite du déni de la mort. 

J'en déduis que, derrière ce cri, qui est une expression de l'impuissance, se trouve une parole impossible à dire, se trouve un élément que je ne peux pas représenter directement par le moyen du langage, un élément qui serait une réponse probante à la question de RêvedeNewYork. MaladiedeBasedow intervient ici en tant que médiation, entre la question et mes réponses, je veux dire ce travail d'écriture qui est toujours une réponse à la sommation démente de ma présence au monde, comme quoi il me faudrait vivre, vivre, vivre! 
A défaut de puiser directement à la source, j'extirpe mes formes scripturaires depuis MaladiedeBasedow. Depuis cette frontière nommée maladie. 




*

si tu n'es pas blessé
tu n'as rien faire ici

mais sache que tout 
homme est blessé

donc si tu n'es pas blessé
c'est que tu ne te connais pas

si tu ne te connais pas
tu n'as rien à faire ici

mais sache que nul 
homme ne se connaît

donc si tu te connais
c'est que tu ne te connais pas

si tu te connais 
tu n'as rien à faire ici


*

J'écris ces mots à propos de basedow bien après ceux qui précèdent, auxquels je ne comprends plus grand chose désormais. Il y a une forme de nostalgie âcre doucement, que je ressens dans les ressorts de mon affection. Je ne sais pas à vrai dire ce que basedow peut signifier parce que cette signification se présente à moi dans une complexité si dense que je ne saurais pas en faire une synthèse. Il en va néanmoins, cela je peux l'affirmer autant avec le cerveau qu'avec le ventre, d'un conflit qui m'implique moi-même et moi, si j'ose dire. Nul doute que cette guerre qui me ravage, et que la maladie assume là où je n'arrive pas à dire, se trouve lié avec mon fantasme et mon désir les plus fondamentaux, c'est-à-dire avec le coeur nu du récit que je suis. C'est pourquoi sans doute me vient la nécessité aujourd'hui d'écrire de la littérature. (Je pense à Sebald, à cette hypnose du style qui déporte le lecteur dans une expérience hors du temps et de l'espace : dans une mélancolie sans nom que recèlerait l'Europe en son for le plus intérieur.) Besoin d'épaisseur, de phrases lentes, longues, rythmées selon un régime de monotonie qui soit à même de provoquer cet ennui qui signale les textes où s'attarder. La littérature est ennuyeuse, je le crois, c'est sa principale qualité, sa force la plus sidérante : un ennui qui emporte notre adhésion et nous édifie hors du régime habituel de la causalité. Alors il me reste à écrire. Je vais créer un petit blog basedow pour cela. Et il me reste surtout à me soigner. 
Et finir le LIVRE-AVRIL. 
Et terminer les Balises.

***










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