vendredi 6 juin 2014

447 - Nuit







Nuit






Eveillé seul - sans route, bagage, campement , bêtes de selle ou de charge - dans la savane aigre de ma nuit
mes nuits de profonde houle
la nuit que tuent les lumières – la nuit de ténèbres, fille de la nature – la nuit douce des veilleuses –
la nuit étendue entre ciel et terre, sommeil, rêve et amour – la nuit ombre de l'âme – la nuit pétrie de mystères –
la nuit rythme du temps
éveillé seul
mes nuits ombreuses
la nuit enveloppe où se blottir – la nuit qui protège notre départ, notre fuite dans l'autre part –
la nuit libération de l'esprit – la nuit qui s'ouvre comme un domaine –
les pas qui habitent les rues désertes – le chemin de lanterne en lanterne – la paix ambulant à côté de la fête -
la nuit qui pèse à trois heures du matin, écoeurement épuisant, frontière à vaincre
sans route, bagage, campement , bêtes de selle ou de charge
mes nuits amicales
la nuit nourrie du jour – la nuit de pensée lucide –
le calme des membres dénoués – l'abandon d'un corps d'enfant, dont on soulève légèrement la main pour que le doux souffle vienne rassurer –
nuit bruissante des arbres – nuits adolescentes de si longtemps, la voix de Germaine Montero, Lorca, une terrasse sur l'odeur des pins qui perdent la chaleur du jour et le ressac qui chantonne sur les rochers plats
dans la savane aigre de ma nuit
mes nuits sans fin sans espoir ni tendresse
la nuit de pluie sur des cartons –
la nuit d'une cellule surpeuplée, la nuit d'une cellule solitaire – la nuit de l'hôpital, le bruit des pas en savates, la voix lasse et douce, la main, le sourire, la morphine, sombrer dans le jour qui monte –
la nuit qui pèse entre les épaules, avant la relève – la nuit de ceux qui craignent le jour qui vient -
ce très ancien doux temps de la marche enclose sur l'autre quitté, vers ma chambre vide




ma, ou votre, nuit, night, noche, nacht, notte, noite, Nout -
mais Nout ce n'est pas la nuit ! Je sais, c'est la voute, l'arc au dessus de son époux Geb, la terre, pourtant...
Je tiens la lumière et Nout m'engloutit, Nout qui se fait noire parsemée d'étoiles, et la lumière et moi, agrippée à ce mot, l'idée de clarté, entraînée à sa suite, nous entreprenons le long voyage de la nuit, dans Nout la guérisseuse, aux larmes de pluie, Nout aux amours qui ne durent que cinq jours, Nout la faiseuse d'orages, Nout au rire de tonnerre, Nout sur laquelle brillent les morts pour nouvelle vie, Nout d'où émergeons, la lumière et moi toujours dans son sillage, son espoir, jaillissant de son giron pour que vienne le matin.

Sur le tard, tard! je compris enfin, je
compris clairement (comme à travers la glace claire)
d'où je dirais mon souffle et comment m'en servir
avec clarté - sinon bien :

Clarté!
clame en son chant le rouge-gorge. Clarté!
Clarté!





Note :
première citation : Leiris dans «Haut Mal» mon choix
poème final : William Carlos Williams dans «Paterson», le beau choix de Julien Boutonnier
image de Nout – détail du papyrus Greenfield - Shou soutenant Nout




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Pour ce vase communicant de juin, j'ai le plaisir et l'honneur de recevoir Brigitte Célérier, alias Brigetoun (@brigetoun). Je me souviens, à mes débuts numériques, que le premier commentaire que j'ai écrit fut sur son blog "paumée". C'était le dimanche 26 août 2012, ici. Isabelle Pariente-Butterlin a écrit un très beau texte sur son travail, c'est une présentation sensible et juste que je vous invite à (re)-découvrir.
Brigitte incarne une permanence fragile et opiniâtre sur mon web. Ses billets, jour après jour, donnent corps au temps qui passe et nous tranforme insensiblement. Ils révèlent, avec une constance qui m'impressionne (publication quasi tous les jours à minuit), cette trame indiscernable qui est la substance même de nos vies. 
Enfin, il me semble essentiel d'exprimer ce qui, selon moi, est le thème de son blog, je veux dire la solitude. Brigitte témoigne d'un usage du web qui est un artisanat de la solitude, une façon de la mettre au travail, d'en faire une création adressée aux autres.   

Birgitte m'a proposé d'écrire à partir des mots de Leiris, j'ai proposé en retour un extrait de Williams. Nos textes sont une façon de chemin entre ces deux citations. Sa proposition m'a beaucoup ému et je suis content qu'elle soit là, cette écriture, sur peut(-)être. Vous pourrez lire la mienne sur son blog.  

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François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants: Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.  .

La liste complète des participants aux échanges est établie par ma partenaire de ce mois
Encore une fois grand merci à elle.















7 commentaires:

Brigetoun a dit…

MERCI

Dominique Hasselmann a dit…

J'ai pensé aussi à ---- Nuits ---- de Xenakis.

jeandler a dit…

Les nuits parfois si longues à attendre la lumière.

Isabelle Pariente-Butterlin a dit…

Merci. Je suis touchée de vos mots. Ils sont précieux.

Anonyme a dit…

Oui ! En une nuit, on passe par tous les états de l'âme. Quelqu'un me disait, il y a quelques temps. que l'âme n'existe pas... Moi, je le vérifie... toutes les nuits ! L'Esprit, lui, ne se manisfeste que dans le grand jour !

nolwenn a dit…

Julien, je ne trouve pas le lien vers ton texte sur le blog de Brigitte.
Belle nuit complexe et chaloupée.

Brigetoun a dit…

le texte de Julien est sur le blog de Brigitte, juste en dessous du recensement