dimanche 9 mars 2014

426 - Le médaillon - 4 - L'index - 1







Pour un plan d'ensemble de l'ouvrage, voir ici












L'index - 1


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Histoire de ma disparition

Le deuil est une histoire d'amour sans lendemain


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Chapitre 1 ; Chapitre 2 Chapitre 3 ; Chapitre 4 ; Chapitre 5 ; Chapitre 6 ; Chapitre 7 ; Chapitre 8  ; Chapitre 9 (fin)


Chapitre 1




Mon ennui n'avait rien d'oisif. 

Je vivais à bout de force. 

Sur le lino de mon appartement de type 1 bis.

Dans le plexus l'angoisse gonflait comme un animal mort.

Parfois je parvenais à ouvrir la bouche pour appeler une mère.

Comme j'étais seul personne ne répondait.

Le soir je mangeais une endive et un yaourt nature sans sucre. 

La nuit je ne dormais pas.

L'angoisse ne me laissait pas de répit.

L'angoisse est insomniaque.

De nuit comme de jour ma vie blanche persévérait sous son emprise chaque fois que je m'éloignais d'une ma mère.

Ma vie sans une ma mère était une vie sans moi. 

Une vie sans soi est une vie dans la grâce ou bien une vie dans l'angoisse.

Dès que l'occasion se présentait je retournais à la maison. 

Nous ne parlions pas mère et moi.

Le soir les yeux de maman se posaient quelques instants sur moi.

Ils pleuraient comme devant une image que je ne saisissais pas.

Elle ne disait rien. 

Elle se tournait. 

Je demeurais dans son dos sans bouger.

En retenant mon souffle.

Elle me regardait de nouveau au bout d'un moment.

J'ouvrais les bras et m'allongeais sur le sol.

Elle défaisait ses longs cheveux.

Elle rampait autour. 

Elle prenait la pose. 

Je pleurais.

Maman me laissait seul ensuite.

Elle éteignait la lumière. 

J'entendais le battant de sa porte heurter le chambranle.

Je n'ai pas connu mon père.

Une ma mère n'en parlait pas.

Cet homme mort dans ma prime enfance n'avait pas laissé de sculptures.

L'artiste détruisait ses oeuvres m'avait dit un vieux du village.

Il m'avait dit aussi que je lui ressemblais.

Restait son atelier dans lequel maman s'enfermait.

Je la regardais à la dérobée.

Nue.

Elle s'allongeait dans la lumière.

Elle parlait de temps à autre.

Il lui arrivait de rire.

Elle jetait ses cheveux en arrière d'un coup de tête.

Je lui ai demandé une fois de parler de mon père.

Elle m'a griffé au visage. 

Elle est partie.

Je ne l'ai pas revue.

Je restais allongé dans l'herbe sous le saule pleureur.

L'angoisse suçait mes entrailles.

Je laissais faire.

Des douleurs m'interpellaient. 

Je les ignorais.

Je ne me sentais pas concerné par les matières et les sensations de mon corps. 

Sur mon visage brûlaient les griffures d'une ma mère. 

Ses cris sauvages. 

De louve. 

Je consentais à déglutir parfois. 

Une pomme d'Adam montait et descendait. 

Etrange. 

L'atelier de mon père sens dessus dessous.

Maman l'avait dévasté avant de partir.

J'y passais de longs après-midi anxieux. 

Je dormais dans le lit d'une ma mère.

L'odeur de sa nuque sur l'oreiller.

Des tremblements agitaient les mains. 

Je ne mangeais pas assez.

Je m'asseyais au bord de la mare. 

Les feuilles tombées du saule flottaient à la surface de l'eau sombre que parfois froissait le vent. 

Je manquais d'air.

J'attendais que cela cesse.

J'écoutais les organes.

Les brins verts frisaient dans l'étendue. 

Je fermais les yeux. 

Une paix tendait mes muscles.

J'entendais presque maman hurler dans la maison. 

Je me levais, titubant, fiévreux, me rendais à l'atelier. 

Au retour l'angoisse dans le train.

La plaine derrière la vitre. 

Le monde consistait.

Mon doigt glissant sur la vitre embuée.

Je regardais un trait disparaître dans la pellicule humide. 

Dans l'appartement de type 1 bis. 

Ma vie blanche loin d'une ma mère.

La nuit. 

Je ne dormais pas. 











Le médaillon - 4 - l'index - 1 - Mars 2014

3 commentaires:

Lucien Suel a dit…

Très fort, forme et fond.

Julien Boutonnier a dit…

Merci Lucien.

Anonyme a dit…

Rien à dire de plus que Lucien Suel. Mais le dire quand même!