vendredi 7 février 2014

419 - En lisant en écrivant : bribes de «Peut-être»






صباح الخير 

bonjour 
ceci n’est pas une lettre


J'ai importé ici des phrases du blog de Julien, «peut-être». Je les entends comme si leur acoustique était claire. J’ai eu une sensation proche dans le métro il y a quelques jours en passant devant un chanteur. Le grain de voix traversait en justesse les cercles de sa profondeur. J’étais étonnée par le contraste entre l’anonymat et la densité de sa présence. Cela produisait presque un malaise.  


« un éboulis des mots dans une peau vive

quelque chose en le perdant c'était bien »

Je ne me souviens pas de ce qu'il y avait autour et entre ces phrases. Elles ont pris tout l'espace.


«L'alphabet du pays des Plaines, comprenant justement trente-deux lettres, pour nommer les trente-deux balises

la norme fait d'un monde notre monde. 
écrire - créer - c'est re-faire de notre monde un monde.

"Ce qui est important, c'est la théorie que vous faites de votre vie" me dit le psychanalyste pour clôturer la séance.»


Je m'ouvre comme une enfant. J'aime les possibilités de ces phrases, leur étendue. Je me sens libre. J'aurais pensé le contraire de ce que dit le psychanalyste. L'important, ce qui est difficile à désosser, c’est ce que je fais concrètement de ma vie. L'idée de m'autoriser à faire de ma vie ma propre théorie me donne un sentiment de grande liberté. Tout cela est à la fois d’une importance cruciale et n’en a aucune. Ma vie en théorie est une présence. Au moindre coup de fatigue, obstacle, la théorie essaie d’avoir raison, force.


«Mais depuis quand écrire ferait la chair d'un vivre? Ecrire, c'est l'air qu'on respire, la lumière dont on procède, ce n'est pas la vie qu'on vit. 

je vois la vie qui pousse dans l'enclos de ma voix où mes paroles limitent, autorisent, proposent, séparent, soutiennent, et c'est toute mon expérience de vivre qui filtre par les volets disjoints de ma conscience et se dépose, pour le meilleur et pour le pire, dans le pays sauvage de ma petite fille.

de m'allonger et de me taire - à ciel ouvert

J'ai entendu le sexe de ma voix bander si fort que le poème s'est ouvert

- Qui d'autre me regarde sinon une autre part de moi même ?»


Etre à soi-même son plus fidèle ami. Se contacter de là. 

"l'intime apparaît quand mon rapport a l'autre n est plus commandé par du rapport de force" François Jullien

Je n'ai pas encore localisé vraiment toutes les forces pour les accueillir. 

J'avais noté ça : Comme un fruit mûr sur la branche qui va tomber si tu ne le cueilles pas. La sève et le sucre à l'intérieur. Il y a des gestes sapides, des gestes qui donnent le goût. Le bout de la langue humidifie la lèvre haute ou la lèvre basse qui s'épousent l'une contre l'autre pendant que la langue imprègne la peau intérieure de la lèvre, détendue sur la gencive. C'est ce qui se passe dans les mots que tu vas chercher. Leur suc sur l'épaule pour te sentir vivante. 

Ce soir la pièce est froide. Le jugement envahit. L'idée de moi fatiguée qui ronronne de questions, compare, dévalue. Je pense à avoir des accessoires autour de soi, une petite fabrique personnelle de soi qui suit chacun des gestes, ou laisse des trous, des espaces. 

Laisser le texte se défaire lui aussi. Le perdre. Ne plus avoir grand chose à écrire. Que reste-t-il des mots, la sève du jour vidée ?

Réinventer son vêtement dans l’écrit. La journée comme un adversaire. L'en-dehors un abri. Laisser filer sa mâchoire dans l’éveil des idées. 


Nolwenn Euzen


* le mot arabe est «bonjour»










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J'ai vraiment découvert la grande menuiserie de Nolwenn Euzen (@NolwennEuzen sur Twitter) à la faveur de cet échange. Je me suis promené vers ses poèmes, ses notes comme elle dit, lus ou écrits dans la fabrique - écouter les Pénétrables - dont l'étrange musique, précise et hasardeuse, semble mettre en suspens le monde ordinaire. J'ai flâné dans ses étonnants dialogues des latitudes, dans sa biographie méticuleuse et sa longue et merveilleuse liste de lectures, j'ai rencontré ses invités, notamment Jean-Louis Giovannoni, dont on peut lire de fascinantes considérations sur la création poétique ou encore écouter une lecture. 

Je me suis senti à mon aise dans cette menuiserie, à la fois foutraque et soignée, ouverte aux autres, accueillante, labyrinthique, douce et pourtant inquiétante. Oui, c'est une sorte de douceur acérée que Nolwenn dispose, méticuleusement, hasardeusement, sur la table de dissection de son écriture et de son site. Un duvet tranchant comme une machette... oui, un art bien singulier que je vous invite à découvrir si cela n'est déjà fait.


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François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants: Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.  

Vous pouvez lire ma contribution ici.

La liste complète des participants aux échanges est établie par Brigitte Célérier
Grand, oui grand, mais vraiment très grand, merci à elle.








1 commentaire:

François le Niçois a dit…

Je suis subjugué par l'accord entre cette carcasse de piano échouée dans la rue avec la résonance du texte