mercredi 6 février 2013

312 - M.E.R.E - 6







L'espace du souvenir est sans mémoire. Ce temps de la mort de ma mère reste comme une parcelle vide recensée sur le cadastre de mon histoire. Là où il devrait y avoir des images, des paroles, des sensations, des mots, rien ne se présente que je puisse saisir. Seul vibre un vide, tel l'atmosphère sur l'asphalte brûlant un après-midi de canicule, un vide certes pas inutile, essentiel même, puisqu'il remplit une fonction de mémoire dés lors que je travaille à produire cette écriture qu'il meut et promeut dans ma vie et que, aussitôt, dans mon esprit, retentit la voix vivante, la voix du souvenir par laquelle advient la présence à moi-même.
Aujourd'hui, je m'en retourne vers ce noyau de mon existence, vers cet article de la vie, que j'ai découvert il y a peu par delà les lettres de l'acronyme M.E.R.E. Aujourd'hui, cet endroit silencieux, sans hôte ni repère, c'est cela même qu'il me faut dire. Le rêve de New York m'y oblige. Et ce joug, qui semble m'éloigner des joies légères et fantaisies ordinaires, qui ressemble étrangement à la névrose, aux répétitions morbides qui depuis des années me tiennent, ce joug donc, je le prends, je courbe l'échine, je me laisse atteler, je n'ai pas le choix, je ne saurais pas dire pourquoi, sinon qu'il en va peut-être de l'articulation de ma vie et du sens de ma vie, autrement dit, de ma présence au monde et de ce qu'elle pourrait bien représenter. Une intuition préside à ma résignation, comme quoi parfois le bien se présenterait sous le masque de ce qui nous détruit, nous vampirise, nous aliène.
Comment dire ce qui ne se laisse pas saisir?
Comment mettre en mots ce qui se présente comme négativité? 
Je me propose, à défaut de pouvoir entreprendre quoi que ce soit d'autres, de quadriller ce territoire du vide, de le jalonner avec des balises de mots, d'y injecter une matière de texte dont l'office ne serait pas de remplir ni d'annuler la vacuité mais, dans un tout autre domaine, de donner consistance à mon obéissance. Il s'agirait de servir ce trou dans ma mémoire, ce trou dans ma langue, en respectant sa sauvagerie à la source de laquelle je me nourris, sa radicalité qui me prête son énergie.
Par balise, je conçois un court texte poétique que se disputent trois sujets différents: le rêve de New York, les Camps, le non-évènement. Le rêve de New York a déclenché ce travail; les Camps constituent l'univers littéraire dans lequel j'ai trouvé à m'identifier et me raconter; le non-évènement provoque l'entreprise. L'équilibre de ma recherche repose sur ce trépied. 
Une balise est à l'ordinaire un dispositif de signalisation qui indique un chemin à suivre, un danger à éviter, en mer ou sur terre. Le territoire qui m'intéresse a cette particularité qu'il est un espace qui n'a d'existence que sa représentation. Les balises ne signalent pas un péril, elles n'indiquent pas une voie, elles donnent un visage possible au vide de mémoire, dont la conformation demeure en tout subordonnée à ma capacité de sujétion à l'injonction du rêve de New York. Elles ouvrent et ferment, un peu à la manière de marqueurs HTML, l'inénarrable du non-évènement, pour lui prêter une forme donc, mais aussi pour renforcer son efficace, servir sa cause et lui rendre une sorte d'hommage. 
Si l'on ne peut se déplacer physiquement dans cette contrée, du moins peut-on glisser du bout du doigt, à même une page ou un écran, sur le biais d'un référentiel géométrique qui la figure. Soit un repère orthonormé. Soient assignés à l’axe des abscisses les huit chiffres de la date de ce jour précis où la mort de ma mère n'a pas eu lieu dans ma vie. Soient les quatre lettres de l'acronyme assignées à l’axe des ordonnées. Soit un système de coordonnées dans lequel le territoire du vide se trouve momentanément lié, ligoté, relié à un ordre arbitraire, tel Isaac ligaturé par son père Abraham sur l’autel du sacrifice. Soient les balises référencées dans ce repère, accolées à une lettre et un chiffre. Soient les balises groupées dans un ensemble de trente-deux éléments. Soit l'alphabet polonais, l'alphabet du pays des Plaines, comprenant justement trente-deux lettres, pour nommer les trente-deux balises. Soient trente-deux entrées dans le vide de ma mémoire. Soit un cryptogramme possible que le vieux me tatoue sur l’avant-bras dans le rêve.  















M.E.R.E - mercredi 6 février 2013

Aucun commentaire: